SIX (GROUPE DES)

SIX (GROUPE DES)
SIX (GROUPE DES)

La musique du groupe des Six représente une réaction aussi bien contre le wagnérisme et ses émules nouveaux (Richard Strauss) que contre l’impressionnisme debussyste, voire contre le ravélisme. D’un côté, une harmonie chargée, un chromatisme exacerbé, de l’autre, des nuances toujours diffuses et estompées. Il y a la réaction stravinskienne, la réaction schönbergienne, la réaction régérienne; mais celle des Six emprunte une autre voie. La musique ne fait que gagner en complexité; c’est l’essor de l’atonal, du polytonal, du polyrythmique, du grossissement des effectifs orchestraux. La surcharge menace d’envahir l’art musical. Quelque diffus qu’il puisse apparaître, le besoin de simplifier la trame, de clarifier le discours, de laisser se décanter l’expression, de faire souffler un vent d’humour et de pittoresque léger dans la musique sont là bien présents. Le groupe des Six va s’employer à incarner de tels désirs.

C’est le critique Henri Collet, rédacteur musical du journal Comœdia , qui, de son propre chef, donna un nom à ce groupe; il intitula un de ses articles (où l’on voit le parallèle avec les Russes et l’origine de son expression) «Un livre de Rimski et un livre de Cocteau, les Cinq Russes, les Six Français et M. Erik Satie» (janv. 1920), puis publia un second article, «Les Six Français»; ces musiciens sont Darius Milhaud, Francis Poulenc, Arthur Honegger, Georges Auric, Louis Durey et Germaine Tailleferre.

Une création spontanée

Henri Sauguet a pu parler, à propos de la naissance de ce groupe, de «phénomène de création spontanée». Ce n’est pas, de fait, une volonté esthétique préalable qui a présidé à la réunion de ces compositeurs. Pourtant, l’affirmation n’est vraie qu’à moitié, car quelques-uns d’entre eux se réunissaient déjà à Paris et avaient proposé de s’appeler les Nouveaux Jeunes. Quelques jeunes musiciens furent, en effet, fortement attirés par les représentations du ballet Parade , de Satie pour la musique, de Cocteau pour le livret, de Picasso pour les costumes et les décors, de Massine pour la chorégraphie, et qui avait été créé par les Ballets russes en 1917. Le scandale fut grand; l’œuvre, avec ses allures à la fois naïves et provocantes, heurtait de front les habitués récents des finesses chatoyantes de l’impressionnisme. On croyait voir une parenté révolutionnaire entre Parade et les excentricités de la littérature d’Apollinaire et de la peinture de Picasso. Blaise Cendrars prit l’initiative de réunir autour de Satie quelques musiciens et de faire entendre leur musique lors de concerts où seraient aussi présentées les œuvres de la poésie nouvelle (Apollinaire, Max Jacob, Reverdy, Radiguet, Cendrars, Cocteau), d’abord dans l’atelier du peintre Lejeune, ensuite au théâtre du Vieux-Colombier que dirigeait Jeanne Bathori (1918). C’est alors que les musiciens qui se réunissaient ainsi se regroupèrent et prirent le nom de Nouveaux Jeunes. Il y avait Auric, Durey, Honegger et Tailleferre. Milhaud était au Brésil, avec Claudel; Honegger, qui avait été le condisciple de Milhaud au Conservatoire de Paris, lui proposa qu’on l’intégrât au groupe. Ce n’est que plus tard que Poulenc les rejoignit, et c’est là-dessus qu’intervint Henri Collet. On remarquera que ces artistes possédaient des personnalités très différentes.

Se sont-ils vraiment reconnus dans les articles de Jean Cocteau (Paris-Midi , 1919, et Le Coq , 1920) réunis dans Le Coq et l’Arlequin , véritable manifeste de cette école informelle? On en peut discuter. Un poète dictant leurs impératifs à des musiciens! Sans formuler leurs projets de manière aussi brutale que Satie («Toutes ces sociétés, la Nationale, la S.M.I. [Société musicale indépendante], ça joue la musique des autres! Nous, on va faire une société pour jouer notre musique»), ils auraient pu en accepter le propos comme signe d’une volonté de renouveau. Le théoricien Cocteau félicite ses amis de «s’évader d’Allemagne» et de «chanter dans leur arbre généalogique». Pour ce faire, il suffit d’écouter la musique des bals populaires et des cafés-concerts. Wagner, voilà l’ennemi! Debussy lui-même a succombé au charme des sirènes germaniques et n’a su éviter «le piège russe». Un seul modèle: Erik Satie, le poète des «petits riens»! «Après tant de drames dont le XIXe siècle s’était repu, les nuages se dissipaient et s’éclaircissait le ciel musical: le temps des concerts champêtres était venu.» (Roger Delage).

Remarquons, par ailleurs, que si le nombre six a été retenu, il aurait pu avec une justesse non moins grande être remplacé par un sept, un huit ou un neuf: on pense à Roland-Manuel, à Pierre Menu ou à Henri Cliquet-Pleyel. Quoi qu’il en soit, chacun des Six a mené son évolution esthétique comme bon lui a semblé. On citera pour l’anecdote plus que pour leur valeur signifiante les deux œuvres qu’il créèrent en commun: une série de pièces pour piano, Album des Six , et un ballet, Les Mariés de la tour Eiffel (livret de Cocteau et Jan Börlin, décors de Jean Victor-Hugo, et pour la musique, Ouverture d’Auric, Discours du général de Poulenc, Quadrille de Tailleferre, Marche nuptiale de Milhaud, Marche funèbre d’Honegger). L’œuvre fut créée par les Ballets suédois en 1920. On n’essayera pas ici de scruter les oppositions ni de déterminer toutes les affinités qui éloigneraient ou relieraient ces artistes. On relèvera tout au plus quelques analogies et, tout d’abord, un besoin d’exalter le rythme et la danse, en dehors de théories esthétiques a priori et systématiques; mais de cela, on trouverait également des signes chez Stravinski ou chez Schmitt qui partagent le souci de la simplicité d’écriture – au sens de dépouillement, de bannissement des artifices trop voyants, et non de pauvreté d’invention. On insistera enfin et surtout sur le sens de l’humour, par lequel ils apparaissent comme typiquement français et aussi comme se rattachant tous, par quelque côté, à Satie.

Louis Durey

Louis Durey (1888-1979) demeura fidèle à Debussy, son modèle initial, même s’il accepta l’influence ultérieure de Schönberg (L’Offrande lyrique ), de Stravinski (deux pièces à quatre mains: Carillons et Neige ), de Satie (Trois Poèmes de Pétrone ) et de Ravel (Le Bestiaire ). Après son adhésion au Parti communiste (1936), il mit son art surtout au service de ses convictions (cantates, chants de masse, harmonisations de chansons de terroir). On lui reconnaît un réel talent de mélodiste et de compositeur de musique vocale (quatuors, chœurs avec petit ensemble instrumental).

Francis Poulenc

La musique de Francis Poulenc (1899-1963), tenu pour un poète frivole et charmant, bref un «petit maître», ne correspond guère cependant à cette image; à preuve Litanies à la Vierge noire (1936), La Messe en sol (1937), Sécheresses (1937), le Stabat mater (1951), Sept Répons des ténèbres (1961), à côté de pages avec orchestre, telles que le Concerto pour deux pianos (1932) ou le Concerto pour orgue (1938). La vivacité, la tendresse, le lyrisme de Dialogues des carmélites (créé à la Scala de Milan en 1957) furent salués comme un événement. Dans le sillage d’un Chabrier, Poulenc a retrouvé l’esprit baroque de Couperin ou Rameau, capable de peindre, avec la retenue typique de la musique française, les sentiments les plus profonds de l’amour et de la prière dans un langage dépouillé et accessible de la plupart. «Ses harmonies étaient celles de tout le monde, mais il en usait comme personne.» (Bernard Gavoty).

Georges Auric

À l’instar de Satie, Georges Auric (1899-1983) avait le sens de l’humour et se gaussait gentiment de ceux qui faisaient naître l’histoire de la musique à l’école de Vienne. Infatigable producteur pour la scène et l’écran, il a donné ses lettres de noblesse au genre nouveau de la musique de film. Sa musique de chambre pour la voix, pour le piano ou pour petit ensemble (Imaginées , Sonate en fa , Partita pour deux pianos , Doubles Jeux pour deux pianos , Cinq Chansons françaises ) mériterait de retrouver la faveur d’un public apte à reconnaître la vivacité raffinée de son style d’écriture, par-delà les apparences frivoles du divertissement. Cocteau avait élégamment évoqué cette plume «qui déchire, troue et caresse le papier à musique...».

Germaine Tailleferre

La «Dame du Groupe», Germaine Tailleferre (1892-1983), disparut peu de temps après Auric; comme lui, elle avait écrit nombre de musiques de scène et de films, plusieurs ballets (Le Marchand d’oiseaux , 1923; Paris-Magie , 1949; Parisiana , 1955), un opéra-comique (Il était un petit navire , 1951). Sa musique de chambre, quoique peu développée (notamment Quatuor à cordes , 1918; Concerto pour deux pianos ), est empreinte de force et de dramatisme, alors que son «jeu de malicieuse équivoque et qui consiste, surtout, à parsemer de notes imprévues et subversives un langage volontairement ingénu» (R. Bernard) lui vaut d’être tenue pour un compositeur léger et charmant, une «Marie Laurencin pour l’oreille» (Cocteau dixit ). Sa dernière création, un an avant sa mort, lui valut un franc succès à l’Opéra de Paris (Le Concerto de la fidélité , 1982), avec Arleen Augér. Germaine Tailleferre est toujours restée fidèle à l’écriture sereine de sa jeunesse, malicieuse et séductrice, ennemie affirmée du constructivisme sériel et de l’expérimentalisme électroacoustique.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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